Protection of Conscience Project
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Service, not Servitude

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Soumission à l'Association Médicale Mondiale

Re : Révision du Code International d’Éthique Médicale

22 Mai 2021

Texte intégral
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Résumé

Cette soumission répond à la demande de commentaires publics de l’Association Médicale Mondiale (AMM ou WMA) sur une proposition de révision du Code international d’éthique médicale (International Code of Medical Ethics ou ICME). Les amendements aux paragraphes 14 (pratique centrée sur le patient) et 27 (« Objection de conscience ») en constituent le principal sujet.

Le paragraphe 14 (Pratique centrée sur le patient) exprime le principe central de l’ICME. Les controverses actuelles sur la liberté de conscience dans les soins de santé manifestent souvent un désaccord fondamental sur la signification des termes utilisés ici : « soins », « santé », « bien-être » et « meilleur intérêt ». Le projet recommande de remplacer « soins » par « recommandations et traitement ».

Ce que l’on pense être dans le « meilleur intérêt » d’un patient peut être contesté pour diverses raisons légitimes. L’ICME devrait indiquer le rôle et les obligations des médecins en précisant que les recommandations et les traitements doivent être uniquement ceux qu’un médecin « croit de bonne foi » être dans le meilleur intérêt du patient, la « croyance » indiquant clairement que le jugement est celui du médecin, et « bonne foi » indiquant le caractère raisonnable, la bonne volonté et l’absence de duplicité, de préjugé ou de discrimination.

Le texte proposé du paragraphe 27 (« Objection de conscience ») est anormal par rapport à la pratique médicale car il ignore le rôle de la conscience en médecine et adopte un cadre d’analyse inadéquat et préjudiciable. Il ne tente pas ni même ne suggère comment tenir compte de l’intégrité des médecins et des demandes des patients en cas de conflit. . Il est également anormal par rapport à la politique de l’AMM existante et aux paragraphes fonctionnellement interdépendants connexes dans l’ICME proposé.

Le projet propose un paragraphe 27 modifié qui

  • reflète le rôle de la conscience dans la pratique médicale;
  • identifie les comportements moralement pertinents pour la participation aux procédures contestées;
  • en reconnaissant le potentiel de conflit entre les médecins et les autorités étatiques ou autres;
  • met en jeu d’autres dispositions de l’ICME;
  • comprend de brèves indications sur les obligations des médecins de fournir des informations et d’assurer a sécurité des patients et la continuité des soins.

Le projet recommande que l’ICME soit complété par la politique de l’AMM sur la liberté de conscience des médecins. Il insiste fortement pour qu’une conférence planifiée de l’AMM se concentre sur la conscience dans la pratique médicale et non sur « l’objection de conscience ».


TABLE DES MATIÈRES
I.     Introduction
II.    Paragraphe 14 : Pratique centrée sur le patient
III.   Paragraphe 27 : « Objection de conscience »
Annexe « A »
Commentaires de consultation de l’AMM

I.    Introduction

I.1    Le projet de protection de la conscience est une initiative à but non lucratif et non confessionnelle d’envergure internationale qui milite pour la liberté de conscience dans les soins de santé depuis 1999. Le projet ne prend pas position sur la moralité ou l’acceptabilité des procédures ou services contestés.

I.2    Cette soumission répond à la demande de commentaires publics de l’Association Médicale Mondiale (AMM) sur une proposition de révision du Code international d’éthique médicale (International Code of Medical Ethics ou ICME). Elle développe les recommandations et commentaires du projet dans le formulaire de commentaires de la consultation publique de l’AMM. (annexe «A»).

I.3    La soumission est notamment éclairée par l’impact de la légalisation canadienne du suicide assisté et de l’euthanasie (SAE) sur les praticiens opposés aux procédures décrites dans le World Medical Journal (WMJ) par des médecins canadiens.1,2 Il s’appuie également sur des articles du WMJ (co-rédigés par l’Administrateur du projet) décrivant les origines de la Déclaration de Genève et de l’ICME3 et la relation entre la Déclaration de Genève révisée et les bonnes pratiques médicales.4

I.4    Les paragraphes suivants du brouillon de l’ICME sont fonctionnellement interdépendants et concernent la question de la conscience dans la pratique médicale (titres ajoutés ici pour plus de commodité) :

2.  Devoir principal des médecins

3. Intégrité personnelle et professionnelle

6. Primauté des principes éthiques

9. Intégrité du jugement médical

14. Pratique centrée sur le patient*

27. Objection de conscience*

30. Collaboration éthique

39. Résistance à la subversion juridique de l’éthique

40. Soutien collégial et résistance à l’oppression

I.5    Les modifications recommandées aux paragraphes 14* et 27* constituent le principal sujet de cette soumission. La discussion comprend l’examen des dispositions fonctionnellement interdépendantes.

I.6     Les amendements recommandés aux paragraphes 2, 5, 13, 16, 21 et 35 sont des garanties de l’intérêt du projet.  Les raisons des révisions sont données dans le formulaire de commentaires de la consultation publique de l’AMM et ne nécessitent pas de précisions supplémentaires.


II.    Paragraphe 14 : Pratique centrée sur le patient

II.1    Le paragraphe 14  exprime le principe central de l’ICME et sous-tend le devoir premier des médecins (paragraphe 2).  Les dispositions fonctionnellement interdépendantes pertinentes (y compris la disposition sur l’objection de conscience) encouragent, permettent et protègent la pratique centrée sur le patient en soutenant l’intégrité personnelle et professionnelle.

II.2    La première recommandation du projet concerne la terminologie : remplacer « soins » par « recommandations et traitement ».

II.3    La deuxième recommandation porte sur la nature de l’obligation du médecin d’agir dans le « meilleur intérêt » du patient.

Terminologie

II.4    Les termes « soins », « santé », « bien-être » et « meilleur intérêt » utilisés au  paragraphe 14 ne sont utiles que dans la mesure où il y a accord sur leur signification. Les controverses actuelles sur la liberté de conscience dans les soins de santé manifestent souvent un désaccord fondamental sur la signification de ces termes qui ne peut être ignoré dans l’élaboration des politiques.

II.5    Par exemple, l’euthanasie par injection létale est décrite avec précision comme un service, une procédure ou un traitement. Appeler cela un service de santé, une procédure médicale ou des soins donne une force normative à des « prémisses métaphysiques, philosophiques et morales contestées qui peuvent être rationnellement contestées mais ne peuvent pas être validées empiriquement », parmi lesquelles « l’affirmation dogmatique selon laquelle un être humain peut être mieux en étant mort. »

Dans une société libre et démocratique, il devrait être inacceptable de forcer les médecins à professer cet article de foi, ou à démontrer une adhésion pratique à celui-ci en tuant ou en facilitant le décès d’un patient.5

II.6    Cependant, l’utilisation irréfléchie de termes tels que « soins » ou « santé » peut exprimer ou inviter à accepter sans critique de telles prémisses et croyances sous-jacentes, préjudiciables dès le départ à la discussion, au raisonnement juridique et à la politique ; l’utilisation polémique des termes le fait certainement. Il est important de reconnaître que cela peut accidentellement ou délibérément affecter le genre de subversion de l’éthique médicale à propos de laquelle les   paragraphes 39 et 40 insistent sur le fait que les médecins doivent s’opposer et résister.

II.7     En remplaçant « soins » par « traitement et recommandations », l’ICME reconnaîtra les éléments typiques et non controversés de la pratique médicale d’une manière moins ouverte aux abus polémiques en relation avec des services ou des procédures contestés. L’amendement facilitera également la défense contre le type de subversion et d’oppression éthiques, juridiques et réglementaires envisagés aux paragraphes 39 et 40.

« Meilleur intérêt »

II.8    Nonobstant l’accord selon lequel la priorité doit être donnée au « meilleur intérêt » du patient, ce que l’on pense être dans le « meilleur intérêt » du patient peut être contesté pour diverses raisons légitimes, indépendamment des difficultés d’interprétation supplémentaires introduites par les croyances contestées sous-jacentes (II.4– 6). Une affirmation de plus en plus persistante est que ce qui est dans le meilleur intérêt du patient doit être déterminé par le patient et non par le médecin.

Les médecins peuvent raisonnablement être en désaccord. Si, malgré cela, les médecins sont obligés de donner suite à la demande d’un patient, les concepts de bénéfice, de préjudice et de meilleur intérêt deviennent non pertinents. Tout ce qui reste est la demande du patient, soutenue par le pouvoir de l’État pour en assurer la conformité.

Cela traite les médecins comme de simples techniciens ou fonctionnaires d’État, comme des rouages d’une machine d’État fournissant des services à la demande, et non comme des agents moraux responsables qui, comme leurs patients, doivent former et agir sur la base de jugements sur les bénéfices et les préjudices. Cela impose une forme de servitude incompatible avec l’égalité humaine, la dignité et l’intégrité personnelle et professionnelle.6

II.9    En ce qui concerne l’intégrité professionnelle, on s’est vivement inquiété du fait que déplacer la responsabilité traditionnelle de la profession médicale de « prendre des décisions médicales réfléchies fondées sur des preuves, des connaissances et une expertise uniques » équivaut à « un renversement stupéfiant du rôle central du concept médical et juridique de la norme de soins. »"7

II.10    Ce qui est considéré comme le « meilleur intérêt » doit être déterminé au cas par cas et ne peut être défini par l’ICME. Cependant, l’ICME devrait indiquer le rôle et les obligations des médecins dans la prise de cette décision. Ici, la loi sur l’obligation fiduciaire est informative. Les médecins doivent évaluer ce qui est dans le meilleur intérêt du patient de manière indépendante et de bonne foi, en utilisant leur propre jugement, sans devenir une « marionnette » en suivant les instructions de qui que ce soit, y compris le patient et les organismes de réglementation médicale de l’État. S’ils concluent ainsi que faire X n’est pas dans le meilleur intérêt du patient, la loi les oblige à refuser.8

II.11    Le concept d’obligation fiduciaire tel qu’il est développé dans les juridictions de « common law » n’est pas facilement transposé aux juridictions de droit civil, qui articulent diversement les devoirs de diligence, de loyauté, de fidélité et de bonne foi pour atteindre des objectifs similaires.9 On ne sait pas dans quelle mesure la common law ou les traditions de droit civil informent le projet actuel de l’ICME.  Cependant, il semble que les conditions d’indépendance et de bonne foi décrites au II.10 sont communes aux deux. Cette conclusion est étayée par les attentes de la Charte Européenne d’Éthique Médicale10 et des Principes d’Éthique Médicale Européenne.11 En outre, les exigences d’indépendance et de bonne foi sont pleinement compatibles avec l’accent mis par l’ICME sur la priorité des patients (paragraphes 2, 5, 7, 14–19, 21, 28, 31) et l’indépendance professionnelle (paragraphes 3, 6, 9, 25, 27, 39 et 40).

II.12    Par conséquent, au paragraphe  Paragraph 14, l’ICME devrait indiquer que les recommandations et les traitements doivent être uniquement ceux qu’un médecin « croit de bonne foi » être dans le meilleur intérêt du patient, la « croyance » indiquant clairement que le jugement est celui du médecin, et « bonne foi » indiquant le caractère raisonnable, la bonne volonté et l’absence de duplicité, de préjugé ou de discrimination.


III.    Paragraphe 27 : « Objection de conscience »

III.1    Le texte proposé du paragraphe 27 est anormal par rapport à la pratique médicale car il ignore le rôle de la conscience en médecine et adopte un cadre analytique inadéquat et préjudiciable limité à « l’objection de conscience ». Ce faisant, il ne fait pas de distinctions qui, si elles étaient reconnues, suggéreraient comment l’intégrité du médecin et l’accès des patients aux services peuvent être conciliés. Il est également anormal par rapport à la politique existante de l’AMM et aux paragraphes fonctionnellement interdépendants connexes dans l’ICME proposé.

Conscience en médecine

III.2     Le rôle central de la conscience dans la pratique médicale était une préoccupation majeure des organisateurs de l’AMM et des assemblées qui ont approuvé la première fois la Déclaration de Genève et l’ICME.12,13 En passant en revue les origines de ces documents, l’administrateur du projet et les co-auteurs ont affirmé et appliqué la perspicacité des fondateurs de l’AMM:

[L]a pratique de la médecine est une entreprise incontestablement morale. Les médecins considèrent d’abord le bien des patients, cherchant toujours à leur faire une sorte de bien et à les protéger des maux. Par conséquent, les opinions morales ou éthiques sont intrinsèques à la pratique de la médecine, et chaque décision concernant le traitement est une décision morale, que les médecins y fassent ou non consciemment référence. Exiger que les médecins n’agissent pas en se basant sur des croyances morales, c’est exiger l’impossible, car on ne peut pas pratiquer la médecine sans référence aux croyances morales. (Références omises) 14

III.3    Une observation pertinente ici est une observation du Dr Ewan Goligher, membre associé de l’AMM et co-auteur de deux des articles du WMJ cités ici. Il note que les objections à l’objection de conscience en médecine prétendent qu’elle

a) impose les valeurs des médecins aux patients,

b) porte atteinte aux normes professionnelles, et

c) refuse l’accès aux soins.

Le Dr Goligher souligne que ces affirmations sont elles-mêmes des « objections éthiques fondées sur la conscience ».

« La vraie question » dit-il, «n’est pas de savoir si la conscience doit être exercée, mais plutôt quels types d’objections de conscience sont appropriés et lesquels ne le sont pas. »15

III.4    Par exemple, aucune difficulté ne se pose du point de vue de la liberté de conscience lorsque le seul problème est la compétence clinique par rapport à un service ou à une procédure que le médecin estime être dans le meilleur intérêt du patient.  Faciliter ou faire en sorte que le service soit fourni par quelqu’un d’autre est alors une extension naturelle des responsabilités du médecin envers le patient et est conforme à l’intégrité morale professionnelle et personnelle du médecin.  Une recommandation efficace dans cette situation devient une obligation, et le refus ou le défaut de faire une recommandation efficace peut être qualifié d’abandon.  C’est la base du paragraphe 21 de l’ICME.

III.5    D’un autre côté, les médecins qui refusent de fournir ou de faire des recommandations efficaces pour un traitement parce que les preuves d’efficacité sont insuffisantes agissent d’une manière conforme à leurs obligations éthiques. De même, les médecins qui concluent qu’un traitement est médicalement contre-indiqué parce qu’il est nocif sont obligés sur le plan éthique de refuser de fournir ou de faciliter ce traitement. Les deux types de refus peuvent être correctement décrits comme des exemples d’exercice de la conscience (ou d’objection de conscience) sur la base d’un jugement clinique. De nouveau, le Dr Goligher :

Dans tous ces cas, j’ai non seulement une raison technique, mais aussi une obligation morale, de ne pas effectuer de telles interventions. En tant que tels, ce sont inévitablement des refus fondés sur la conscience ; je ne peux pas offrir ce traitement car ce serait contraire à l’éthique de ma part.16

Cadre analytique inadéquat et préjudiciable

III.6    Le paragraphe 27 n’est pas pertinent pour l’objection de conscience dans les circonstances décrites ci-dessus car il ignore le rôle de la conscience en médecine. Pour la même raison, il ne fournit pas et ne peut pas fournir de directives éthiques cohérentes sur l’objection de conscience par les médecins. À cet égard, il est totalement insuffisant.

III.7     De plus, le paragraphe 27 suppose clairement que ce qu’un médecin qui refuse de faire constitue des « soins » ou un traitement médical moralement/médicalement acceptables et nécessaires. Il accepte en fait sans réserve le point même qui est habituellement contesté dans ces cas. Partant du postulat selon lequel les médecins qui objectent ont tort de refuser une procédure contestée, il conclut que leur refus ne peut être toléré que dans des circonstances strictement limitées. Ce n’est pas simplement inadéquat, mais un cadre clairement préjudiciable qui se prête à des abus moralement partisans.

III.8    Enfin, pour exiger une recommandation efficace, le paragraphe 27 exige une forme de collaboration que de nombreux médecins qui font appel à l’objection de conscience considèrent raisonnablement inacceptable sur le plan éthique, et que l’AMM considère également inacceptable en ce qui concerne les procédures contraires à l’éthique.q En effet, en ce qui concerne les activités contraires à l’éthique, l’AMM identifie une gamme de comportements moralement pertinents que les médecins devraient éviter, y compris recommander,17 soutenir, tolérer, faciliter ou aider,18,19 en fournissant des compétences, des locaux, des fournitures, des substances ou des connaissances, y compris des informations sur la santé individuelle,20 la planification, l’instruction ou la formation, la préparation de rapports,21, 22 incitation23 et l’affirmation ou le soutien rétrospectif de pratiques contraires à l’éthique.24 Cela démontre que le paragraphe 27 est anormal par rapport à la politique de l’AMM, inadéquat et préjudiciable.

Distinctions critiques non reconnues

III.9    Les praticiens qui font appel à l’objection de conscience sont généralement disposés à travailler en coopération avec les patients et autres personnes en ce qui concerne l’accès des patients aux services tant que la coopération n’implique pas de collaboration : un acte qui établit un lien causal ou un soutien de facto pour les services auxquels ils s’opposent. Ils sont généralement disposés à fournir aux patients des informations permettant une prise de décision éclairée et des contacts avec d’autres professionnels de santé.

III.10    Les distinctions entre la coopération et la collaboration et la fourniture d’informations par rapport à la fourniture d’un service permettent une approche qui s’adapte à la fois aux patients et aux praticiens. Cependant, ces distinctions critiques ne sont pas pertinentes dans le cadre analytique adopté au paragraphe 27, de sorte qu’elles ne sont pas reconnues. Par conséquent, le paragraphe 27 n’essaie pas de donner ni même ne suggère de façon de tenir compte de l’intégrité des médecins et des demandes des patients en cas de conflit.

III.11    D’un autre côté, éviter, minimiser et gérer de manière satisfaisante de tels conflits peut être difficile, et le paragraphe 27 identifie correctement certains des problèmes qui doivent être traités, tels que la santé du patient et la continuité du traitement médical. Il ne s’ensuit cependant pas qu’ils puissent être traités de manière adéquate dans un paragraphe de l’ICME. Il se peut que les lacunes du paragraphe 27 reflètent une tentative d’accomplir plus que ce qui peut réellement être accompli dans les limites imposées par la nature du document.

Conflit avec la politique existante de l’AMM sur l’euthanasie / le suicide assisté

III.12    L’euthanasie et/ou le suicide assisté sont considérés comme faisant partie de la pratique médicale en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Suisse, au Canada, en Colombie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, dans certaines parties des États-Unis et (bientôt) en Espagne. Certains membres anciens et actuels de l’AMM considèrent que les procédures sont conformes aux bonnes pratiques médicales. Il semble probable que d’autres pays et associations médicales nationales suivront.

III.13     Certains médecins de ces pays, comme l’AMM, restent opposés à l’euthanasie et au suicide assisté. À l’heure actuelle, les médecins ne sont nulle part tenus de fournir personnellement l’euthanasie ou le suicide assisté, mais deux organismes de réglementation médicale au Canada exigent que les médecins qui s’y opposent collaborent pour tuer leurs patients par une recommandation efficace. Malgré l’opposition à une recommandation efficace par l’Association médicale canadienne,25 la position des médecins qui font appel à l’objection de conscience au Canada est difficile et ténue.26,27 Les médecins d’autres pays peuvent éventuellement se retrouver dans une situation similaire.

III.14     L’AMM affirme clairement que cela est inacceptable : « Aucun médecin ne devrait être forcé de participer à l’euthanasie ou au suicide assisté, et aucun médecin ne devrait être obligé de prendre des décisions de recommandation à cette fin. »28 En revanche, le paragraphe 27 prétend établir une obligation éthique de collaborer activement et délibérément à une procédure que le médecin juge contraire à l’éthique, sans exclure l’homicide médical planifié et délibéré et le suicide assisté.

III.15    Il convient ici de rappeler ce qui a motivé les médecins à fonder l’AMM :

Les délégués des associations médicales nationales de retour [à] Londres en septembre 1946 étaient inquiets et ambivalents au sujet des plans de nationalisation des systèmes de soins de santé en Grande-Bretagne et sur le continent. D’une part, ils ont salué l’intérêt croissant pour la médecine par les gouvernements du monde entier. De l’autre, ils se sont inquiétés des conséquences (comme exprimé plus tard) de la transformation de tous les médecins en « fonctionnaires contrôlés par l’État ». Ils ont conçu une association médicale internationale pour soutenir les associations nationales défendant les praticiens contre les demandes des gouvernements. (Références omises)29

III.16     La politique actuelle de l’AMM sur l’euthanasie et le suicide assisté soutient les médecins qui s’opposent de la manière prévue par les fondateurs de l’Association. Le paragraphe 27, dans sa forme actuelle, non seulement les abandonne, mais peut et sera très certainement utilisé contre eux. Affirmer que le paragraphe 27 ne peut pas être utilisé de cette manière parce que l’AMM considère l’euthanasie / le suicide assisté comme contraire à l’éthique serait une réponse paroissiale et moralement partisane qui rendrait l’ICME inutile dans toutes les juridictions où les procédures sont légales.

Conflit avec les dispositions interdépendantes de l’ICME

III.17    Le paragraphe 27 mine toutes les dispositions fonctionnellement interdépendantes de l’ICME associées à la pratique de la médecine en conscience. Plus précisément, si les médecins sont obligés par le paragraphe 27 de collaborer à des procédures qu’ils estiment raisonnablement contraires aux bonnes pratiques médicales, nuisibles aux patients ou autrement contraires à l’éthique, il leur sera impossible

 • de « pratiquer avec conscience, honnêteté et intégrité, tout en exerçant toujours un jugement professionnel indépendant et en respectant les normes de conduite professionnelle les plus élevées; »  (paragraphe 3: Intégrité personnelle et professionnelle)

 • de maintenir leur « engagement envers les principes éthiques énoncés » dans l’ICME; (paragraphe 6: Primauté des principes éthiques)

 • de maintenir fermement « leurs jugements médicaux professionnels solides » contre les « instructions de non-médecins » - y compris les patients, les législateurs, les régulateurs, les éthiciens, etc. (paragraphe 9: Intégrité du jugement médical)

 • de « s’engager pour la primauté de la santé et du bien-être des patients et. . . offrir des soins dans le meilleur intérêt du patient » (lorsque, contrairement à leurs opinions sur la santé, le bien-être et le meilleur intérêt, les médecins sont contraints par le paragraphe 27 de collaborer même pour tuer leurs patients); (paragraphe 14. Pratique centrée sur le patient)

 • de veiller à ce que « les principes éthiques soient respectés lors du travail en équipe » ; (paragraphe 30: Collaboration éthique)

• d’« empêcher les exigences éthiques, juridiques ou réglementaires nationales ou internationales qui sapent » les obligations éthiques (puisque le paragraphe 27 fournit un moyen aux autorités nationales, internationales, éthiques, juridiques et réglementaires d’obliger les médecins à collaborer à des procédures qu’ils estiment raisonnablement contraires aux bonnes pratiques médicales, nuisibles aux patients ou autrement contraires à l’éthique); (paragraphe 39:Résistance à la subversion légale de l’éthique)

 • d’« aider les autres membres à respecter » leurs responsabilités éthiques ou « à prendre des mesures pour les protéger d’une influence indue, de la violence et de l’oppression ».  (paragraphe 40: Soutien collégial et résistance à l’oppression)

Amendements recommandés au paragraphe 27

III.18    Les amendements au paragraphe 27 proposés par le projet apportent quatre changements :

• Le cadre analytique est élargi de sorte que le paragraphe 27 modifié traite de l’exercice de la liberté de conscience dans la pratique médicale en relation avec des procédures ou des services contestés.

• Conformément aux principes éthiques reconnus et aux autres politiques de l’AMM, la fourniture, la facilitation, la recommandation et le soutien sont identifiés comme une conduite moralement pertinente par rapport aux procédures ou services contestés.

• L’amendement reconnaît explicitement le potentiel de désaccord éthique important entre les médecins et l’État ou d’autres autorités et donne une force pratique aux dispositions fonctionnellement interdépendantes de l’ICME identifiées aux points I.4 et III.17.

• Le paragraphe 27 modifié comprend de brèves indications sur les obligations des médecins de fournir des informations pour permettre une prise de décision médicale éclairée et assurer la sécurité des patients et la continuité des soins.

III.19     Un paragraphe de l’ICME peut présenter des points clés mais ne peut pas aborder ce sujet de manière exhaustive. Le projet recommande que le paragraphe 27 modifié soit complété par une politique autonome de l’AMM sur la liberté de conscience des médecins « pour aider les médecins à défendre leur intégrité personnelle et professionnelle tout en fournissant des services médicaux dans le contexte d’une pratique centrée sur le patient ».30

III.20     Une telle politique pourra être discutée lors de la conférence prévue en 2021 ou 2022. Cependant, pour des raisons qui devraient ressortir de cette soumission, la conférence devrait être consacrée au sujet de la conscience dans la pratique médicale et non à « l’objection de conscience ».


Notes de fin

1.    Rene Leiva et al, "Euthanasia in Canada: A Cautionary Tale" (2018 Sep) 64:3 World Med J 17.

2.    Leonie Herx, Margaret Cottle & John Scott, "The Normalization of Euthanasia in Canada: the Cautionary Tale Continues" (2020 Apr) 66:2 World Med J 28.

3.     Sean Murphy et al, "The WMA and the Foundations of Medical Practice: Declaration of Geneva (1948), International Code of Medical Ethics (1949)" (2020) 66:3 World Med J 2 [WMA Foundations].

4.    Sean Murphy et al, "The Declaration of Geneva: Conscience, Dignity and Good Medical Practice" (2020 Aug) 66:4 World Med J 43.

5.    WMA Foundations, supra note 3 at p 5–6.

6.    Ibid.

7.    Trudo Lemmens, Mary Shariff & Leonie Herx, "How Bill C-7 will sacrifice the medical profession’s Standard of Care" (11 February, 2021) Policy Options.

8.    Canadian Aero Service Ltd. v. O'Malley, [1974] SCR 592, 1973 CanLII 23 (SCC)at 606; McInerney v MacDonald, [1992] 2 SCR 138, 1992 CanLII 57 (SCC) at 139, 149, 152; United Kingdom, Law Commission, Report No. 350 Fiduciary Duties of Investment Intermediaries (Williams Lea Group for HM Stationery Office,2014), Law Commission [UKLCR350] at para 3.53, note 107, citing Selby v Bowie (1863) 8 LT 372, Re Brockbank [1948] Ch 206.

9.    Martin Gelter & Geneviève Helleringer, "Fiduciary Principles in European Civil Law Systems" (2018 March) European Corporate Governance Institute Law Working Paper No. 392/2018.

10.    Conseil Européen Ordres Médecins, "European Charter of Medical Ethics" (10 June, 2011), Conseil Européen Ordres Médecins (website), at Principles 6, 8, 11, 15.

11.    International Conference of Medical Professional Associations and Bodies with Similar Remits, "Principles of European Medical Ethics" (6 January 1987) Conseil Européen Ordres Médecins (website),  at Articles 2, 5, 24.

12.    WMJ Conscience, supra note 4 at 41.

13.    WMJ Foundations, supra note 3 at 3.

14.    WMJ Conscience, supra note 4 at 42.

15.    CMDA Canada, "Understanding Conscience in Health Care" (21 April, 2021),at 00h:04m:01s to 00h:04m:48s [Goligher].

16.    Ibid at 00h:05m:54s to 00h:07m:16s.

17.    L'Association Médicale Mondiale, "Déclaration sur l’euthanasie et le suicide médicalement assisté " (13 novembre, 2019), AMM (website) [AMM Euthanasie].

18.    L'Association Médicale Mondiale, "Déclaration de Hambourg de l’AMM sur le Soutien aux Médecins qui Refusent toute Participation ou Caution au Recours à la Torture et autresTraitement Cruel, Inhumain ou Dégradant" (10 novembre 2017), AMM (website) au para 1.

19.    L'Association Médicale Mondiale, "Déclaration de Tokyo de l’AMM Directives à l’intention des médecins en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en relation avec la détention ou l’emprisonnement" (30 octobre, 2020), AMM (website) au para 1, 5, 9.

20.    Ibid au para 2, 5.

21.    L'Association Médicale Mondiale, "Proposition de résolution de l’AMM sur la prohibition de la participation des médecins à la peine capitale" (12 avril, 2019), AMM (website).

22.    L'Association Médicale Mondiale, "Résolution de l’AMM sur les examens anaux forcés pour apporter la preuve d’activités homosexuelles " (19 avril, 2019), AMM (website) au para 6.

23.    Ibid, au para 2.

24.    L'Association Médicale Mondiale, "Prise de Position de l’AMM sur le Don d’Organes et de Tissus" (12 avril, 2019), AMM (website), au para 34–36.

25.    Canadian Medical Association, "Submission to the College of Physicians and Surgeons of Ontario Consultation on CPSO Interim Guidance on Physician-Assisted Death" (13 January, 2016), Protection of Conscience Project (website).

26.    Leiva et al, supra note 1.

27.    Herx et al, supra note 2.

28.    AMM Euthanasie, supra note 17.

29.    WMJ Foundations, supra note 3 at 2.

30.    WMJ Conscience, supra note 4 at 44.